Remettre en question nos systèmes alimentaires d’un point de vue éthique et moral

2022 a été une année particulièrement enrichissante pour le CEMAS. À travers une série d’événements ouverts au public, nous avons eu le plaisir de réunir des spécialistes extraordinaires qui ont rapproché du public les grands défis auxquels sont confrontés nos systèmes alimentaires. L’une de nos rencontres les plus récentes est celle que nous avons organisée le 18 octobre à la mairie de València (Espagne) à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation.
Lors de la conférence « L’importance éthique et morale de nous rééduquer en faveur de systèmes alimentaires équitables, durables, sains et inclusifs », nous avons eu le privilège de pouvoir réunir des penseurs, des philosophes et des experts de haut niveau pour réfléchir ensemble aux défis et aux réalités auxquels nous sommes confrontés au niveau alimentaire et à la manière dont l’alimentation peut nous aider à construire un espace commun plus juste pour tous.
La collaboration nous permet d’avancer ensemble
Le maire de València, Joan Ribó, était chargé du discours inaugural, où il a souligné que parler de l’alimentation dans les villes et de la durabilité non seulement rassemble les personnes, mais aussi les institutions, la société civile, le monde universitaire et les administrations publiques. En guise de clôture, il a posé la question suivante : est-il éthique de spéculer sur la nourriture ou son utilisation géostratégique lorsque sa conséquence la plus immédiate est la faim dans le monde ?
L’éthique dans les fondements des objectifs de développement durable
Le premier expert à prendre la parole a été Marta Pedrajas, philosophe et économiste valencienne. Elle a fait partie de l’équipe qui a représenté l’Espagne dans la création de l’Agenda 2030 des Nations Unies, l’engagement qui marquerait l’avenir du développement au niveau mondial.
Elle a fait référence au préambule, à la déclaration politique qui fait partie de cet Agenda et qui constitue son cadre moral : « Dès le départ, la dignité des personnes les plus vulnérables, la durabilité des systèmes alimentaires, ainsi que la question de l’insécurité alimentaire et de la faim sont pris en compte. » Elle a également affirmé que la faim « est un problème moral car c’est le facteur qui affecte le plus les êtres humains dans leur épanouissement personnel ».
La valeur exquise de la nourriture
Joan Beau, philosophe, boulanger et expert en philosophie du pain était le deuxième intervenant. À travers son histoire personnelle, il a transmis la valeur de la nourriture, en se souvenant de Léonie, une femme qui lui avait donné une tranche de pain quand il était enfant, alors qu’il subissait les dures conséquences de la guerre.
Le pain de Léonie et celui que Joan Beau fabrique depuis 50 ans se compose de farine, d’eau et de sel. Rien d’autre. Mais dans son histoire, aussi naturels et simples que soient ces ingrédients, ils ont eu le pouvoir d’illuminer la vie d’un enfant pendant un instant. Un sentiment dont Joan Beau se souvient encore 80 ans plus tard comme si c’était hier. « Les saveurs sont gravées dans nos cerveaux, le mien garde encore le goût du pain de Léonie. Son goût, sa saveur subtile, me revient sans cesse à l’esprit. »
Plus de discussions et plus de responsabilités
Dans sa réflexion, Marcela Villareal, directrice de la Division des partenariats et des alliances de la FAO et chargée de la mise en œuvre de la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale, a déclaré que les aspects éthiques de la faim sont fondamentaux et pas suffisamment discutés. « La faim augmente et les inégalités aussi. Ceux qui souffrent le plus sont les moins responsables de cette situation. »
Elle a précisé que lorsque nous parlons des aspects éthiques de la faim, nous devons également parler des conflits. « Les décideurs devraient être mieux conscients des répercussions de leurs actions et de leurs conséquences. » En outre, elle a fait valoir que les personnes qui entreprennent des actions qui polluent notre planète devraient payer une compensation financière pour l’utilisation inappropriée des ressources naturelles.
La faim, une question politique
En plus d’être une question morale, la faim est une question politique. C’est ce qu’a déclaré Luigi Ferrajoli, ancien juge de la Cour suprême italienne, expert en garantisme et droits : « Nous devons reconnaître la faim non seulement comme un acte immoral mais comme un crime, un fait illicite, comme une violation massive qui produit des millions de victimes. L’inégalité n’est pas un fait naturel mais le produit du capitalisme prédateur. »
Le choix le plus judicieux
María Neira est directrice du département de la Santé publique et de l’Environnement à l’Organisation mondiale de la santé. Dans son discours, elle a souligné l’importance d’investir dans des systèmes alimentaires durables afin d’enrayer le changement climatique. En somme, le changement climatique et la santé publique sont liés et, selon la spécialiste, investir dans la santé est la décision la plus intelligente que les gouvernements puissent prendre.
« Il est incroyable qu’en 2022, nous devions encore utiliser la loi pour affirmer que l’accès à la nourriture est un droit fondamental. Un système alimentaire durable et abordable est nécessaire pour répondre de manière adéquate aux droits de l’homme les plus fondamentaux », déclare M. Neira.
Vers une réalité plus cosmopolite
Pour Adela Cortina, philosophe et directrice de la fondation ÉTNOR, éradiquer la faim et l’extrême pauvreté n’est pas seulement un objectif, c’est un devoir éthique, économique et social. Il ne s’agit pas d’un processus à long terme, mais d’une obligation que notre société doit remplir dès maintenant. D’une part, parce qu’il existe des moyens plus que suffisants pour y mettre fin et d’autre part, parce que tous les êtres humains ont le droit de vivre dans la dignité et de choisir leur projet de vie.
« Je ne sais pas pourquoi nous ne prenons pas nos déclarations au sérieux. Une déclaration est un engagement. À partir du moment où nous affirmons que les êtres humains ont le droit à la vie, nous affirmons qu’ils ont le droit de ne pas être pauvres et de se nourrir. Ce sont des droits que nous devons respecter », insiste A. Cortina.
La faim et la pauvreté sont un problème mondial et nous sommes tous concernés. Par conséquent, elle suggère que la solution réside dans la création d’une société cosmopolite dans laquelle tous les êtres humains sont traités comme des citoyens de première classe, qui ont et peuvent revendiquer le droit de ne pas être pauvres et de vivre une vie digne.
Cette magnifique rencontre s’est terminée par un débat intéressant entre les intervenants et les jeunes étudiants. Souhaitez-vous en savoir plus sur les préoccupations et les réponses des experts ? Cliquez ici pour ne rien manquer (1:21).