Annette Nielsen : « Alimentation et nutrition, des éléments clés de la résilience »

New York est une source d’inspiration à bien des égards, notamment en ce qui concerne la gestion de ses systèmes alimentaires. Nous avons interviewé Annette Nielsen, directrice exécutive du Hunter College NYC Food Policy Center, au sujet des défis auxquels est confrontée la ville qui ne dort jamais. Jusqu’à récemment, Mme Nielsen dirigeait le bureau de New York du département de l’Agriculture et des Marchés de l’État de New York. Elle s’est impliquée dans tous les aspects du système alimentaire, y compris la rédaction, la recherche et l’enseignement culinaire. Ne manquez pas de découvrir son expérience !
Comment faire passer le message d’une alimentation saine dans une ville aussi particulière que New York ?
Différentes plateformes sont essentielles pour diffuser le message sur une alimentation saine. Les enfants constituent un moyen efficace d’amplifier le message. Lorsque l’éducation nutritionnelle est abordée à l’école – avec des jardins intégrant des ateliers nutritionnels et culinaires ou proposant des choix sains dans les menus scolaires – les élèves ramènent ces informations à la maison pour les partager avec les membres de leur famille, ce qui renforce l’impact de l’éducation nutritionnelle.
Il est également important de fournir des informations vitales aux personnes qui en ont le plus besoin, regroupées en un seul endroit. Au Hunter College NYC Food Policy Center, nous avons élaboré les NYC Neighborhood Resource Guides (guides de ressources des quartiers de New York) pour chacun des 59 districts communautaires de la ville. Actualisés et disponibles en ligne, ces guides indiquent où trouver les supermarchés, les marchés de producteurs, les banques alimentaires, les services à l’enfance et à la famille, les services d’éducation et de demande d’emploi, les services médicaux et de santé, les centres pour personnes âgées, les centres de prise en charge de la toxicomanie, les emplacements dédiés au Programme d’aide supplémentaire à la nutrition (SNAP), etc.
En outre, les réseaux à but non lucratif de la ville de New York se concentrent sur l’éducation nutritionnelle (pour tous les âges) et sur la sensibilisation à la santé et au bien-être. En tandem avec des agences telles que le département de la Santé et de l’Hygiène mentale de la ville de New York, le département des Parcs et des Loisirs de la ville de New York, ainsi que des entités étatiques et fédérales, les initiatives de collaboration renforcent la diffusion de messages intelligents et cohérents.
Nous savons que les cours à l’école, combinés à des informations actualisées et facilement accessibles, sont encore plus importants au sortir d’une crise de santé publique. La pandémie a mis en évidence le rôle important de l’alimentation et son impact sur notre santé : l’alimentation et la nutrition restent des éléments clés de la résilience.
Une ville multiculturelle comme New York est-elle aussi victime de l’homogénéisation ?
Il est certain que l’impact de l’homogénéisation a affecté New York, mais peut-être pas dans la même mesure que d’autres villes. Environ 800 langues sont parlées ici, et chaque langue a sa propre culture culinaire. Là où j’habite, à Central Harlem, je trouve des chefs proposant une cuisine franco-africaine ou des spécialités du Sud, et à dix minutes de là, à East Harlem, je trouve des restaurants familiaux proposant des plats cubains, dominicains ou mexicains. Que ce soit dans les magasins d’East Harlem ou dans les marchés asiatiques du centre-ville, les produits, les poissons et les viandes que l’on y trouve sont à l’image du quartier.
New York étant une ville cosmopolite composée de personnes originaires du monde entier, je garde l’espoir que nous continuerons à voir une grande diversité se refléter dans notre système alimentaire, de la production à la consommation.
Quels sont les principaux défis auxquels les New-Yorkais sont confrontés en matière d’alimentation saine ?
Les défis auxquels les habitants sont confrontés en matière d’alimentation saine vont de l’accès à un marché de producteurs ou à une épicerie, à la recherche d’un espace disponible pour cultiver leurs propres fruits et légumes. L’endroit où vous vivez peut également déterminer votre capacité à vous rendre dans un magasin par les transports en commun, car tous les quartiers de New York ne disposent pas d’options viables en matière de bus ou de métro.
Cependant, le principal défi pour les New-Yorkais reste d’avoir assez d’argent – le coût de la vie est extrêmement élevé – et de nombreuses personnes restent démunies et vivent dans la pauvreté. Même si vous habitez près d’un marché de producteurs ou d’un marchand de fruits et légumes, vous n’avez peut-être pas les moyens de vous procurer des aliments frais et sains.
Quelles sont les difficultés liées à la mise en œuvre de politiques alimentaires durables dans une ville aussi vaste et diversifiée que New York ?
Tout d’abord, les initiatives en matière d’alimentation, d’agriculture et de santé doivent figurer dans le programme des candidats aux élections. Une fois en poste, les fonctionnaires doivent conserver la volonté politique de s’engager sur ces sujets. Pour travailler en collaboration, les fonctionnaires doivent communiquer efficacement et former des coalitions avec les parties prenantes d’un large éventail, qu’il s’agisse d’agences fédérales, étatiques ou locales, d’organisations à but non lucratif, de groupes communautaires ou d’entreprises à but lucratif.
Dans une grande ville, mettre les citoyens sur la même longueur d’onde est une tâche énorme. Il faut être disposé à dialoguer, faire entendre la voix de toutes les parties prenantes et être ouvert au compromis pour faire avancer la situation grâce à la mise en place d’un plan intelligent.
Quelles sont les mesures qui ont le mieux réussi à promouvoir la production et la consommation d’aliments durables dans la ville de New York ?
La ville de New York compte près de 600 jardins communautaires, plus de 700 jardins scolaires et un nombre équivalent de jardins dans les logements sociaux. L’année dernière, le département de l’Agriculture et des Marchés de l’État de New York a créé un groupe de travail liés aux jardins communautaires, dont le rapport contient des recommandations visant à accroître le nombre de jardins communautaires dans l’État. Nous savons que ces espaces sont bénéfiques pour la santé, l’environnement, l’alimentation et le développement des communautés.
L’une des principales initiatives visant à promouvoir la production locale a consisté à augmenter les subventions accordées à ces organisations souvent dirigées par des bénévoles. Aujourd’hui, le financement est assuré par un solide programme de subventions.
Il convient également de noter que même si le département de l’Agriculture et des Marchés de l’État de New York a conservé un bureau à New York, cette année marque également l’année inaugurale du bureau de l’Agriculture urbaine du maire de New York ainsi que d’un nouveau bureau représentant l’agence des services agricoles du département américain de l’Agriculture. C’est la première fois que l’agriculture de la ville de New York est ainsi représentée au niveau fédéral, étatique et local.
Quelles recommandations faites-vous aux autres villes qui souhaitent mettre en place des politiques d’alimentation durable en s’inspirant de l’expérience new-yorkaise ?
S’il n’existe pas d’approche unique, il n’y a pas non plus de raison de réinventer la roue. Examinez les modèles en vigueur dans le pays et dans le monde entier, et glanez les initiatives qui vous semblent les plus judicieuses. Soyez à l’écoute de vos électeurs ; faites en sorte que le processus soit transparent et ouvert.
Pouvez-vous nous faire part des projets futurs prévus au sein de votre institution ?
Nous venons de célébrer 40 Under 40 Rising Stars : le premier de nos évènements présentiels depuis la pandémie. Les lauréats de la promotion 2023 du Centre comprennent des décideurs politiques, des éducateurs, des défenseurs de la communauté et des innovateurs qui font des progrès significatifs pour créer des environnements alimentaires plus sains et plus durables. La cérémonie de remise des prix « 40 Under 40 » récompense également un acteur du changement et un professionnel des médias. Cette année, nous avons honoré le maire de NYC, Eric Adams, comme acteur du changement, et Jerusha Klemperer, directrice de FoodPrint pour les médias. Nous sommes ravis d’organiser une réunion des anciens de tous les groupes 40 Under 40 depuis 2016.
En outre, nous reprendrons notre séries sessions Food Policy for Breakfast Series en présentiel dans le courant de l’été. Nous continuons à travailler avec des étudiants stagiaires sur la recherche et, cet automne, nous nous associons au Center for Food as Medicine, pour organiser un sommet réunissant les professionnels et les parties prenantes afin de discuter, de collaborer et de partager les moyens d’intégrer des interventions nutritionnelles basées sur l’alimentation.
La loi agricole Farm Bill est un ensemble de textes législatifs qui ont un impact considérable sur les moyens de subsistance des agriculteurs, sur la manière dont les aliments sont cultivés et sur les types d’aliments cultivés. L’actuelle loi agricole de 2018 expire en septembre. Quels sont les changements à intégrer dans la nouvelle version de la loi ?
Nous avons eu 18 lois agricoles, dont la première, l’Agricultural Adjustment Act de 1933, a été adoptée dans le cadre du New Deal. La loi agricole de cette année, qui devrait s’élever à plus de 1 000 milliards de dollars (et représenter moins de 2 % de l’ensemble du budget fédéral), est sur le point d’être réautorisée. Il s’agit d’un important projet de loi omnibus composé de 12 titres de lois représentant les produits de base, le commerce, la conservation, l’énergie, l’assurance-récolte et bien plus encore. Le titre sur la nutrition, qui met l’accent sur le programme d’assistance nutritionnelle supplémentaire (Supplemental Nutrition Assistance Program ou SNAP), représente 85 % du projet de loi (contre 76 % en 2018), ce qui témoigne d’un besoin plus important à la suite de la pandémie.
Pendant la pandémie, les agriculteurs et les producteurs du nord de l’État de New York ont perdu des marchés en raison de la fermeture de restaurants, d’épiceries et d’écoles. Les produits laitiers ont été jetés et les cultures n’ont pas été récoltées, tandis que le nombre de personnes manquant de nourriture, en particulier dans la ville de New York, augmentait. L’initiative de notre État, Nourish New York, a permis de financer le réseau des banques alimentaires de l’État de New York afin qu’elles puissent continuer à s’approvisionner auprès des agriculteurs et des producteurs de l’État de New York, ce qui a permis aux agriculteurs de bénéficier d’un revenu indispensable tout en fournissant des aliments de qualité à ceux qui en avaient besoin. Cette initiative intelligente pourrait être financée et reproduite dans tout le pays – un moyen de préserver la viabilité des exploitations agricoles familiales d’un État et de renforcer et sécuriser le système alimentaire régional.
Compte tenu de l’impact de la pandémie sur notre santé et notre bien-être collectif, ainsi que de l’importance de garantir un système alimentaire sûr et durable, nous avons constaté un engagement accru du public concernant le projet Farm Bill de cette année – avec des tournées d’écoute à travers l’État et le pays, en tant que thème de discussions de groupe, et même dans la conversation de tous les jours. J’espère que la situation progressera dans la bonne direction pour notre système alimentaire. La sécurité alimentaire est une sécurité nationale, de la production à la consommation.